Culture

Abdou Chérif rentre au bercail

© D.R

Abdou Chérif ne joue pas à la star. Il est star. Tout en lui renvoie à cette posture. Yeux rieurs, sourire charmeur et malicieux, Abdou Chérif ne joue pas non plus au séducteur. Il est séduction. Il est beau. Presque à l’image de ces apollons et de ces éphèbes qui habillent les mythes et les légendes de tous les fantasmes qui nourrissent les imaginaires sensibles.
Un peu aussi à l’image de ce prince charmant dont rêvent les femmes, toutes les femmes, y compris celles qui ont atteint ce qu’on appelle sournoisement la maturité. Comme si la maturité obligeait à faire l’impasse sur l’admiration de la beauté et sur le bonheur de revendiquer une émotion des plus naturelles. Abdou rit à pleines dents à cette remarque, heureux que la discussion prenne cette tournure. Il se penche discrètement et entonne « Ana lak ala toul, khalik lia ». Cela a un effet immédiat sur tous les clients de ce restaurant où nous avions rendez-vous.
Un silence envahit la salle qui tend l’oreille pour goûter au charme et à l’intensité de cette voix. Une jeune femme se lève et vient faire à Abdou des déclarations des plus romantiques. Un ange passe. Galant et un tantinet malicieux, Abdou ose le baise-main very gentleman et s’applique à l’exercice de l’autographe comme d’autres s’appliqueraient à la plus impérieuse des tâches. Et sans s’en rendre compte, et comme s’il avait besoin de vous subjuguer entièrement et pleinement, de vous enferrer pour vous faire chavirer, Abdou laisse percer graduellement une intelligence d’une rare finesse et d’une sensibilité émouvante. Cela vous secoue et surtout vous aide à remettre vos pendules à l’heure et à chasser, d’un revers de la main, tous les préjugés que vous trimbalez sur le degré intellectuel de nos artistes. Avec Abdou, on navigue dans le plus impressionnant des paquebots et l’on en oublie les paterras artistiques qui chavirent à vau-l’eau et à contre courant. Au fil de la conversation, l’émoi suscité par l’élégance et le raffinement de la star, cède la place à la fascination pour l’artiste talentueux et l’homme cultivé. Face à vous, à vos convictions tranchées sur la chanson, la musique, l’art et tout le reste, Abdou fait montre, pêle-mêle, d’une exigence professionnelle rarement revendiquée et d’un sens des situations des plus cohérents. Aucune confusion autour des principes de l’artiste, de ses ambitions et de ses projets. Aucune suffisance non plus pour un artiste qui s’est fait tout seul et qui ne doit pratiquement rien à personne. C’est vrai que lorsqu’on ne plie pas sous le poids d’une quelconque reconnaissance, on a plus de possibilité pour voler au gré des vents et des altitudes. Et le haut du podium, Abdou y est depuis quelque temps dèja. Pour y parvenir, il choisira les itinéraires les plus escarpés et les plus raides, dans l’un des rares pays arabes encore en mesure d’offrir une chance aux meilleurs. En Egypte, Abdou débarque au début des années 90, avec comme seul bagage, des rêves plein la tête et une voix qui rappelle celle d’Abdelhalim Hafid. Du Rossignol brun, Abdou connaît toutes les chansons, tout le répertoire et chaque détail d’une vie des plus extraordinaires. Mais Abdou ne veut pas imiter Halim. Il ne cherche pas à se substituer à une voix, à un look et, à un genre et surtout à une légende. Abdou a conscience que c’est une entreprise vaine, une sorte de mirage. Ce que Abdou souhaite, c’est perpétuer un style, une tradition romantique de la chanson arabe et permettre aux jeunes générations de goûter à l’extase de la génération Oum Keltoum, Mohamed Abdelwahab et bien sûr Abdelhalim Hafid. Pour cela, le jeune artiste entreprend un travail de titan. Il s’arme aussi de patience.
La concurrence est rude et les chanteurs de la nouvelle vague pousse comme des champignons. Pour se distinguer, il fallait non seulement avoir les reins solides, mais surtout lutter pour ne pas succomber dans les travers de la mode des vidéo-clips et de la chanson légère. Il fallait aussi faire ses preuves et convaincre. Lorsqu’il se produit, en 1999 à la Maison de l’Opéra au Caire, c’est la consécration. La vraie. L’authentique. Abdou est sacré dès le lendemain par toute la presse égyptienne.
La critique loue et chante les qualités de ce jeune marocain qui a réussi non seulement à ressusciter le mythe d’Abdelhalim, mais qui a interprété, à sa manière, les classiques du maître. Et c’est en cela que Abdou fait fort. Quand il interprète Gabbar, Fatite min ghanbina ou n’importe quelle autre qassida du Rossignol, Abdou y met de son âme, de son coeur, de ses émotions, de ses peines, de ses angoisses, de ses souffrances, de ses instants de doute,de bonheur et de ses joies. Si le public répond et vibre, c’est parce qu’il perçoit l’authenticité de cette émotion et c’est aussi parce qu’il s’identifie à cette vision romantique de la vie ,de la passion et des sentiments qui traversent le quotidien de tout un chacun. Et c’est pour ne pas perdre de vue cette authenticité et cette sincérité qu’Abdou affirme ne jamais succomber à la facilité des clips et des chansons qui envahissent le marché. Un choix qu’il assume et revendique. Rien n’est plus important que cette ligne dans laquelle Abdou a inscrit sa carrière et son cheminement. En professionnel, Abdou initie une toute autre démarche depuis son retour au Maroc. Il rompt catégoriquement avec toutes les habitudes dans lesquelles se sont rangées nos stars. Ni complaisance ni aucune autre forme d’indigence ou de passe- droit. Rien que les conditions normales dans lesquelles doit se produire un artiste. Un langage nouveau qui étonnera plus d’un. C’est vrai qu’Abdou n’a rien à perdre. C’est vrai que nous aurons tout à gagner si nous nous situons au niveau de cette exigence professionnelle. Tout à gagner à initier, avec lui et à travers lui, un tout autre comportement, vis-à-vis de nos chanteurs, de nos stars, des producteurs et du public. Une manière sereine pour faire un sort à toutes ces attitudes de désolation qui caractérisent le discours de toute une flopée d’artistes. Tous ceux qui passent leur temps à se lamenter sur l’indifférence de l’Etat qui selon eux, non seulement ne fait rien pour sortir la chanson marocaine de la léthargie qui l’assomme, mais qui tarde à élever, ça et là, des statuts en guise de reconnaissance à ceux qui ont commis une rime ou un rythme. Abdou se situe au-delà de ces petitesses et de cette médiocrité. Ce qu’il espère, c’est pouvoir contribuer à l’émergence d’une jeune génération de voix marocaines qui oeuvreront à la renaissance de la chanson nationale. Il le dit avec conviction et assurance. Il fronce les sourcils, élève légèrement l’intonation de sa voix. Il sourit parce qu’il sait que vous êtes définitivement une groupie. Et comme pour vous souhaiter la bienvenue dans ce cercle d’intimes, il vous chante un bout de son Charles Aznavour à lui, presque au creux de l’oreille.
Là, vous succombez et vous fermez les yeux pour ne rien perdre de cet instant magique. Abdou Chérif est un sacré bonhomme. Un de ces charmeurs capables de vous faire perdre vos moyens, de vous entraîner sur des sentiers que vous évitez normalement d’emprunter. Comme quoi, le romantisme est encore au rendez-vous et c’est tant mieux pour tous ceux qui y croient.

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