Culture

Maîtres-nageurs : et vogue la galère !

© D.R

C’est l’été, la mer s’offre aux vacanciers… L’occasion de rendre hommage à ces hommes qui veillent sur la sécurité de celles et de ceux qui se lancent à l’eau. Gloire donc aux maîtres-nageurs auxiliaires de la Protection civile, que seraient les plages sans eux ?
Mercredi dernier, sur la plage d’Aïn Diab à Casablanca, une équipe
de télévision avait fait le déplacement pour rendre hommage à leur dévouement. Stress des maîtres-nageurs en question, saisis par le trac, la peur de “se noyer” dans le flot des questions qui leur sont adressées. Le trac et, surtout, le réflexe pour le moins militaire de ne rien dire tant que le supérieur ne l’a pas autorisé.
C’est que les maîtres-nageurs en service sur nos plages relèvent de l’autorité de la Protection civile, qui organise chaque année, du
4 au 20 mai, en préparation de la saison estivale, le traditionnel examen de sélection : «crawl, mannequin, bouée, solo» ; derrière ce jargon technique, beaucoup de savoir-faire et des procédures rigoureusement codifiées. Il n’y a qu’à voir la fierté avec laquelle les maîtres-nageurs revendiquent le succès à cet examen, qui se déroule en parfaite transparence, pas la moindre place pour l’indulgence ou la complaisance, l’enjeu est trop important.
Beaucoup d’appelés, peu d’élus… Ils sont d’ailleurs 60% à rempiler chaque année, la preuve que les maîtres-nageurs saisonniers sont pour la plupart des vétérans, des passionnés.
250 maîtres-nageurs pour Casablanca, 150 pour Mohammédia, tels sont les quotas de la région du Grand Casablanca au titre des auxiliaires de la Protection civile.  Avec à la clé un module de formation toujours utile même pour ceux qui rempilent et surtout le Smig garanti pour la durée de la saison estivale. Pour les autres, le bénéfice d’un certificat d’aptitude qui leur permettra éventuellement de trouver du boulot dans une piscine ou une plage privée. Sachant que les établissement privés ne peuvent en aucun cas employer des maîtres-nageurs qui n’auraient pas passé avec succès l’examen en question.
De retour sur la plage d’Aïn Diab, mercredi dernier. Le poste de garde principal a hissé le drapeau rouge : les baigneurs sont invités à redoubler d’attention. La marée monte, la plage grouille de monde, on se dit que les maîtres-nageurs ont bien du mérite de parvenir à surveiller tout ce monde-là, d’autant que la plupart font souvent peu de cas des coups de sifflets et des exhortations des hommes en shorts rouges, tee-shirts jaunes et casquettes assorties.
«S’il vous plaît, dites dans votre journal que nous aimerions bien que les gens nous accordent un peu plus de considération…» Younès Mouzaki, dont c’est la sixième saison consécutive, déplore l’indiscipline des nageurs qui ne lui facilitent pas la tâche : «Il est fréquent de s’entendre, lorsque nous invitons les baigneurs à se rapprocher du bord, la plage ne nous a pas été donnée en héritage…  Alors que nous sommes prêts à risquer notre vie pour sauver la leur, c’est décourageant ! Heureusement pour eux que nous aimons notre métier et surtout, que nous ne faisons pas notre travail uniquement pour de l’argent !»
Pendant ce temps, l’équipe de télévision poursuit son reportage, grâce à l’intervention d’un lieutenant des pompiers qui a rassuré les maîtres-nageurs : «la télévision est là pour vous mettre à l’honneur», vous n’avez rien à craindre de témoigner. Tant et si bien que toute la brigade se prête au jeu et que la caméra peut filmer la reconstitution d’une intervention.
Par l’effet de la mise en scène, on vit soudain le drame qui se produit trop souvent sur les plages. Un nageur imprudent ou présomptueux, une vague trop forte, une crampe soudaine, un trou dans le sable, une tête qui disparaît soudain de la surface de l’eau, le coup de sifflet de l’homme posté en vigie et très vite, la mise à l’eau du scooter ou le maître-nageur qui se jette à l’eau.
La reconstitution déclenche également une autre manifestation traditionnelle des interventions de sauvetage : la foule des baigneurs qui s’agglutine soudain autour du nageur sorti de l’eau et que l’on a le plus grand mal à disperser. Sauf qu’aujourd’hui, tout le monde sait bien que c’est seulement pour les besoins du reportage, ce qui ne fait pas que des heureux.
«Moi, dit ce jeune-maître nageur, j’aurais préféré que la télévision s’intéresse vraiment à nous au lieu de nous faire jouer la comédie. Parce que vraiment, les gens ne nous respectent pas assez à mon avis, malgré notre dévouement».
Ils s’appellent Saâd Hizoune, Abderrahim Tanana, Younès Mouzaki, ils ont entre 19 et 23 ans, ils sont lycéens, vendeurs ambulants ou chômeurs de longue durée mais partagent la même passion pour la mer et, surtout, la même vocation à se jeter à l’eau pour sauver des vies humaines. A leurs côtés, exceptionnellement ce jour-là, Mohammed R. maître-nageur depuis 13 ans, tient à exprimer lui aussi son amour pour ce métier. Mais il vient d’avoir 35 ans, la limite d’âge.
Entre-temps, l’équipe de la télévision a afini son reportage avec la promesse que ce dernier sera diffusé le soir même. Le faux noyé a repris sa partie de ballon et les maîtres-nageurs se remettent de leurs émotions : ce n’est pas tous les jours qu’on leur accorde autant d’attention.
Demain, c’est une nouvelle journée de stress qui recommencera. Au programme, pour ceux dont ce sera le tour, l’équipe de surveillance dès 6 heures du matin, sachant que la journée ne commence officiellement qu’à 8h. Mais il faut bien être là pour s’occuper des amateurs matinaux de la plage d’Aïn Diab.  Ils seront donc là, fidèles au poste, dévoués comme à l’accoutumée, avec toutefois un regret : que toutes les plages de la région du Grand Casablanca ne disposent pas d’autant d’équipements qu’Aïn Diab, dont le Pavillon Bleu vaut certes cette remarquable mobilisation d’hommes et de moyens.


 Ça n’arrive pas qu’aux autres…

Triste mercredi. Pendant que nous arpentions la plage d’Aïn Diab pour les besoins de ce reportage consacré aux maîtres-nageurs auxiliaires de la Protection civile, l’artiste et l’enseignante universitaire Fatema Chebchoub se noyait dans une plage non gardée aux environs de Skhirate, en un lieu traversé par l’oued Cherrat. Son corps a été retrouvé vers 9h30.
Fatema Chebchoub,  âgée de 53 ans, se baignait en compagnie d’une amie mais celle-ci n’a malheureusement rien pu faire pour la sauver.
Feue Fatema Chebchoub, unanimement appréciée et respectée pour sa créativité, sa générosité, son humour et son talent, vient malheureusement grossir les statistiques annuelles des morts par noyade.
Membre de l’Union des écrivains du Maroc, scénariste et auteur de plusieurs pièces de théâtre avait notamment écrit une série télévisée diffusée par la première chaîne de télévision, sous le titre « Ind al fawra i ban lehssab ». On lui devait également de nombreux recueils de “zajal”, poésie populaire.
La regrettée, qui avait fait des études supérieures en théâtre et en traduction, préparait un doctorat en théâtre dans une université américaine et menait une recherche sur la sociologie du théâtre.

Les 12 commandements du baigneur

Les maîtres-nageurs auxiliaires de la Protection civile ne sont pas seuls à assurer la protection des baigneurs de la plage d’Aïn Diab. Ils peuvent compter sur les panneaux d’avertissement disposés aux différentes entrées de ce site exemplaire en termes d’infrastructure et d’encadrement, Pavillon Bleu oblige.
Sous le titre «Les 12 commandements du baigneur», ils sont là pour rappeler que la mer peut tuer si l’on ne respecte pas les règles élémentaires de prudence et de sécurité.
– Au bord de l’eau, oubliez tout sauf votre sécurité ;
– Renseignez-vous sur les dangers de votre lieu de vacances ,
– Choisissez si possible une zone surveillée ;
– Pas plus de 10 minutes pour votre premier bain ;
– Méfiez-vous du refroidissement brutal lors de l’entrée dans l’eau ;
– Entrez progressivement dans l’eau ;
– Ne vous baignez jamais seul ;
– Sachez reconnaître un baigneur en difficulté ;
– Ne jouez jamais à faire peur ;
– Plongeurs, entraînez-vous progressivement ;
– Familiarisez vos enfants avec l’eau ;
– Méfiez-vous des hélices des bateaux et désinfectez immédiatement les blessures de plage ;
– Apprenez si possible des notions de secourisme.

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