Culture

Un demi-milliard de dirhams pour la culture !

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ALM : Quel bilan faites-vous de votre mandat depuis votre nomination à la tête du ministère de la culture ?
 

Mohamed Amine Sbihi : Nous estimons que ce bilan est positif. Depuis 2012, nous avons défini un plan sectoriel qui tourne autour de cinq composantes : la politique culturelle de proximité, le soutien à la création, la valorisation du patrimoine, la diplomatie culturelle et la bonne gouvernance. L’ensemble de nos actions a tenu compte de ces cinq priorités fixées avec nos partenaires et avec l’administration centrale et régionale. Cette démarche a permis de donner du sens à l’action du ministère et stimulé l’adhésion de ses composantes pour réaliser les chantiers prioritaires, conférant in fine plus de visibilité à ses interventions. Le deuxième volet sur lequel ce département a réussi à avancer, c’est la clarification de sa mission et de son rôle versus les autres intervenants. Dans ce sens, nous avons élaboré les fondements de la stratégie « Maroc culturel », ainsi que la stratégie « Patrimoine 2020» qui déclinent notre vision à moyen terme. Notre objectif consiste à faire valider ces deux stratégies nationales et démarrer leur mise en œuvre au courant de l’année.

Quel est le budget actuel du ministère ? Est-il suffisant pour réaliser vos ambitions?

Le budget du ministère reste faible. Il tourne autour de 580 millions de dirhams, soit 0,3% du budget total de l’Etat. Cela a un impact direct sur le volume et l’envergure des actions et des projets à réaliser. Si nous sommes en mesure d’exécuter le budget qui est mis à notre disposition, avec des taux d’exécution qui frôlent les 95% depuis 2012, nous n’avons eu de cesse de réclamer des rallonges budgétaires. Mieux encore, nous sommes, aujourd’hui, en mesure de faire un plaidoyer auprès du gouvernement et du ministère des finances pour une augmentation substantielle du budget du ministère. Nous sommes déjà engagés cette année sur énormément de programmes, notamment dans la construction de centres culturels, de théâtres et de conservatoires. Nous avons bien décliné devant les deux commissions au Parlement nos revendications en la matière, qui expriment en réalité les attentes de l’ensemble de nos partenaires institutionnels et des acteurs professionnels opérant dans le champ culturel. En œuvrant dans ce sens, nous sommes arrivés à obtenir 165 millions de dirhams de financement supplémentaire, grâce à ce que l’on appelle « la convergence des politiques sectorielles ».

Depuis plusieurs années, les artistes réclament un meilleur statut et des avantages sociaux, notamment la CIMR. Où en est-on aujourd’hui ?

Pendant longtemps au Maroc, les créateurs ont souffert d’une carence systémique en matière de couverture sociale.
Les pionniers de la culture et de l’art, ceux qui ont beaucoup donné au pays durant les années 60, 70, ou 80, se trouvent aujourd’hui à un âge avancé et se retrouvent dans la difficulté de produire et de transmettre leur savoir et leur lumière, voire dans la difficulté de vivre décemment. Dans ce cadre, nous avons proposé la création d’une instance chargée de veiller à améliorer les conditions de vie de ces artistes et créateurs, et qui pourrait accompagner la démarche et les initiatives que mène SM le Roi en matière de valorisation, de motivation et de reconnaissance des femmes et des hommes de l’art et la culture dans notre pays. Ce projet est déjà sur la table et nous travaillons avec énergie pour le voir aboutir bientôt.
Sur un autre plan, la Mutuelle nationale des artistes prend déjà en charge une partie des besoins des artistes. Mais nous devons les accompagner davantage pour qu’ils puissent travailler tout au long de l’année et stabiliser leurs revenus autant que possible. Pour cela, et depuis l’année dernière, nous avons mis en place une politique de soutien aux industries culturelles et créatives. C’est une politique qui permet de soutenir l’ensemble de la chaîne de valeur en professionnalisant les secteurs de création et en améliorant les possibilités d’emploi aux artistes.

Le Maroc est déterminé à protéger son héritage culturel. Quelle est votre stratégie pour lutter contre le trafic illicite d’objets d’antiquité ?

Le Maroc est un pays engagé en la matière. Il est déjà signataire de la convention de l’Unesco contre le trafic illicite d’œuvres. Nous avons signé des conventions avec l’Administration de la douane et avec la gendarmerie royale dans ce sens. Nous organisons des formations spécifiques pour les cadres de l’administration chargés de la préservation du patrimoine. Notre démarche s’inscrit dans une volonté de l’Etat de récupérer tous les biens sortis illégalement du territoire. Certains se trouvent dans quelques musées privés ou chez des propriétaires. Les pouvoirs publics et le ministère de la culture en particulier agissent d’une manière ferme contre ce trafic. En effet, la protection du patrimoine culturel national est un devoir communautaire qui doit être assumé par tous les départements publics, à savoir les autorités locales et territoriales, les acteurs associatifs et la population. Nous devons nous impliquer tous pour la protection, la sauvegarde et la valorisation de notre patrimoine commun. C’est notre héritage, notre mémoire, le ciment de notre appartenance et l’un des motifs de notre fierté nationale.

Comment envisagez-vous de mettre en valeur les villes historiques du pays ?

La mise en valeur des villes historiques concerne à peu près 23 anciennes médinas au Maroc, dont presque la moitié d’entre elles, sont inscrites comme patrimoine mondial à l’Unesco. Pour nous, la préservation de ces villes anciennes est un engagement permanent. Pour cela, le gouvernement, sous les directives de Sa Majesté le Roi, mène une politique volontariste de sauvegarde, de valorisation et de restauration de ces médinas. Sur ce point, le gouvernement sous la supervision de SM le Roi œuvre pour lutter contre l’habitat insalubre et la restauration de sites historiques ; la meilleure preuve est la convention qui a été signée devant Sa Majesté le Roi Mohammed VI, relative à la restauration et à la réhabilitation des monuments historiques et au traitement du bâti menaçant ruine, situé dans l’ancienne médina de Fès. Nous sommes très avancés sur ce projet. Des actions similaires vont avoir lieu dans d’autres villes dont Salé, Marrakech, Bejaâd et autres.

Le Maroc manque cruellement de musées (15 musées pour 33 millions de Marocains !). A quand un musée de la même envergure que celui du Prado à Madrid ou du Louvre à Paris ?

Le manque de musées au Maroc est un vrai problème. L’essentiel des musées dont nous disposons aujourd’hui remontent à l’héritage du Protectorat. Cependant, l’effort consenti ces dernières années a permis la construction du Musée d’art contemporain de Rabat dont les travaux sont achevés et qui va être bientôt inauguré. Dans l’immédiat, les travaux ont été lancés pour la construction du musée de l’archéologie et des sciences de la terre dans le cadre de la mise à niveau urbaine de Rabat, et qui participera à faire de Rabat la capitale de la culture du Royaume. Ceci dit, la fondation nationale des musées est aussi appelée à renouveler les collections et à améliorer la gestion des 14 musées existant dans notre pays.

L’état de la lecture est alarmant. Le Maroc produit uniquement 2.000 titres par an, pourquoi cette carence ?

La situation de la lecture est défaillante dans notre pays, c’est indéniable ! La lecture, l’édition et le livre sont en réalité un vrai problème de société. Cela dit, il faut bien comprendre et délimiter l’ampleur et l’étendue de la problématique pour mieux apporter les solutions adéquates et nécessaires. De ce fait, la question de la lecture publique n’est qu’un maillon de la chaîne. Il faudra donc mettre en place une offre adressée à la population d’une manière organisée, bien ciblée et plus professionnelle. Le meilleur exemple est celui du Salon de l’édition et du livre de Casablanca que le ministère organise chaque année sur une période de 10 jours. Lors de la dernière édition, nous avons reçu 300.000 visiteurs. Il y avait une présence populaire très importante toutes franges confondues, et c’est un taux de fréquentation très satisfaisant. Malheureusement, nous ne pouvons pas organiser des salons similaires dans d’autres villes du Maroc par manque d’espaces d’exposition appropriés. Pour initier les Marocains à la lecture, il faut tout d’abord intervenir au niveau de l’éducation nationale. Les enfants doivent fréquenter les bibliothèques scolaires. Ils doivent s’initier au livre, qui, en plus d’être un support et une référence, deviendra un compagnon.
Pour l’industrie du livre, un effort spécial doit être fourni pour soutenir la modernisation et la professionnalisation des maisons d’édition. Nous réfléchissons à des mesures fiscales incitatives et à un dispositif sur le prix public.
A l’autre bout de la chaîne, il est salutaire de consolider et de renforcer le soutien que le ministère a mis en place pour le lancement et la modernisation des librairies professionnelles, pour mettre le livre à la portée du lecteur. L’apport des médias est également sollicité pour couvrir davantage les activités et événements ayant trait à l’édition, à la diffusion du livre et à la lecture publique.

D’aucuns estiment que la 20ème édition du Salon du livre de Casablanca était un échec cuisant, le pensez-vous ?

La dernière édition du Salon international de l’édition et du livre de Casablanca était une réussite. Les gens qui parlent d’échec du salon sont des gens incapables de reconnaître des choses positives. Je peux affirmer que c’était une réussite sur tous les plans, organisationnel et populaire.
 

Droit d’auteur

Nous avons assisté à une interférence entre vos prérogatives et celles du ministère de la communication concernant la gestion des problèmes sociaux des artistes. Comment gérez-vous cela ?

Les relations entre le ministère de la communication et le ministère de la culture sont excellentes. Entre les deux ministères, il y a une histoire commune. Il fut un temps même où le ministère de la communication et de la culture ne constituaient qu’un seul département. Les prérogatives posent toujours des problèmes. À titre d’exemple, le Bureau marocain des droits d’auteur qui relève du ministère de la communication est une structure chargée de défendre les intérêts et de gérer les droits économiques et moraux des créateurs. Cette structure n’est pas un exemple de réussite et ne coordonne pas ses actions avec le ministère de la culture. Et cela pose quelques problèmes. Pour dépasser cette situation, nous allons travailler avec le ministère de la communication pour la mise en place d’une nouvelle structure ayant pour objectif d’asseoir une vraie politique de gestion collective des droits d’auteur et des droits voisins.
 

 

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