Culture

Taktouka Jabalia, le folklore chamali venu des montagnes

© D.R

Aïta Jabalia connu plus couramment sous le nom de Taktouka Jabalia est un folklore chamali. C’est un art populaire traditionnel venu des montagnes du nord-ouest du Maroc. A Tanger comme à Tétouan, Ouezzane et Asilah, les belles chansons de l’Aïta Jabalia résonnent toujours dans les cafés des quartiers populaires. Cet art se distingue par son répertoire masculin. Ses textes se présentent pour leur majorité comme une sorte d’invocations de Dieu, du Prophète Sidna Mohammed et le célèbre marabout Moulay Abdeslam Ben Mchich. Comme c’est le cas pour l’une des plus célèbres chansons d’Al Aïta «Awliae Allah» (Les Saints de Dieu). Ces chansons d’Al Aïta sont puisées dans le folklore propre à des tribus montagnardes dont Jbel Lhbib, Béni Arouss, Béni Guerfet, Lanjra et Lakhmass. Le patrimoine musical de ces régions se distingue aussi par un autre d’Al Oughnia Al Jabalia (la chanson de la montagne) dont les gens du Nord aiment fredonner seuls ou à des occasions des fêtes de mariages, baptêmes, festivals… Il s’agit entre autres des anciennes chansons comme «Souadia Al Jablia » (Souadia la montagnarde) et «Yaoum Rabaâ Kalou Jatt » (Le printemps est là). D’après des connaisseurs, le répertoire de ces chansons est constitué pratiquement par des femmes rurales des régions montagnardes. Les cheikhs et grands noms de la Taktouka de l’Aïta Jabalia avaient l’habitude d’envoyer dans le passé des jeunes chanteurs vêtus en femmes pour assister aux moussems,  pendant les saisons de récoltes et aux fêtes de mariage, baptême et de circoncisions. Ils devaient apprendre les chansons répétées par des femmes qui animaient ces événements. Quelque temps après, des jeunes chanteuses telles que Latifa Laaroussia, Karima Tanjouiya et Ouafae ont pu se faire un nom dans ce type d’art populaire. Leurs chansons ont enregistré de grandes ventes et continuent de plaire aux amoureux de cet art. Les groupes de l’Aïta Jabalia sont composés des chanteurs et instrumentalistes. Les instruments de musique utilisés sont généralement le violon, le luth, taârija, bendir et tar. Et les membres du groupe sont habillés par des costumes traditionnels des régions montagnardes du Nord-Ouest. Ces habits sont le plus souvent réalisés par des couturiers traditionnels de la ville de Chefchaouen.
De grands icônes tels que cheikh Ahmed El Guerfti et Mohamed Laaroussi, respectivement originaires de Béni Guerfit et Béni Arouss, ont contribué à l’enrichissement de ce patrimoine musical. Pour garder leur prestige de cheikh, ils sont souvent vêtus de leurs Jellabas de laine marron et conservent les habitudes des gens de la montagne. Pour le cas du grand maestro Ahmed El Guerfti, celui-ci entame très jeune son parcours artistique. Il rejoint à l’âge de 15 ans un groupe de Taktouka Jabalia à Béni Guerfit.
Il passe son temps à se déplacer entre les tribus de Jbel Lahbib et Benaïrouss. Et avec le temps, il crée son propre groupe. Et comme les autres ensembles folkloriques marocains, celui-ci a été plusieurs fois invité pour participer à des manifestations aussi bien nationales qu’internationales. Il demeure marqué par ses séjours en Irak et aux USA au début des années 80. «Nous avons participé à un événement culturel et artistique à Bagdad et à l’issue duquel nous avons remporté le premier prix. Nous avons été décorés par l’ancien président irakien, Saddam Hussein. Notre prestation lors d’une autre manifestation à Chicago a beaucoup plu au point que nous avons été longtemps ovationnés par le public américain», confie cheikh El Guerfti.
L’art de Taktouka Jabalia connaîtra une période de déclin au cours des années 70- 80. Il retrouve quelque temps après sa splendeur grâce à de jeunes ruraux passionnés de cet art depuis leur tendre enfance. Le cheikh Ahmed El Guerfti découvre en ce moment le jeune Hajji Srifi et l’intègre dans son groupe. Ce jeune qui possède une belle voix réussit vite à apprendre le répertoire de l’Aïta et les chansons Jabalia. Ce qui encourage le maestro Ahmed El Guerfti à reconstituer son groupe de jeunes chanteurs et instrumentalistes. Cette période va donner naissance à plusieurs jeunes chanteurs qui démontrent d’un grand talent dans cet art. Les jeunes Hajji Srifi,  Mokhtar Laaroussi, Abdeslem Al Harak et Lahssen Laaroussi se voient parrainer par leurs cheikhs et maestros de groupes de Taktouka Jabalia. Ils enregistrent beaucoup de chansons de l’ancien répertoire de l’Aïta et la chanson Jabalia par leur voix dans les studios des deux radios de Tanger et Tétouan. Un autre nom de théâtre va s’ajouter à cette liste de jeunes artistes. Il s’agit du compositeur et chanteur Abdelmalek Al Andaloussi qui  commence à pratiquer cet art un peu tard à l’âge de 40 ans. Originaire de Jbel Lahbib, il apprend très jeune quelques chansons de l’Aïta grâce à son père qui était un grand passionné de cet art. Et comme les grands noms de l’Aïta Jabalia, il a appris la musique sur le tas. «Comme je ne comprenais pa
s le français, je n’ai pas pu m’inscrire au conservatoire de musique de Tanger dont les cours ont été dispensés en cette langue», dit-il. Mais pour combler ses lacunes, il effectue plusieurs voyages dans les tribus où vivent les célèbres  cheikhs de l’Aïta Jabalia. Pour lui, cet art est connu par les gens de ces régions par l’Aïta Jabalia et non par Taktouka Jabalia «qui est un mot représentant le patrimoine local des autres pays arabes et du Moyen- Orient», précise-t-il.       
Au cours des voyages, l’artiste Abdelmalek Al Andaloussi rencontre le célèbre cheikh Ahmed El Guerfti à Jbel Lhbib. Il lui montre ses textes et compositions qui lui plairont. Il travaille ensemble plusieurs années et finit par constituer son propre groupe avec qui il a participé dans plusieurs manifestations au Maroc et à l’étranger. Il a composé 9 chansons  d’Al Aïta et plus de 200 chansons populaires de Jbla. Ses œuvres sont parmi les plus vendues mais il se dit être souvent victime du piratage.
«Cela décourage les sociétés de production à s’intéresser à notre travail», déplore-t-il, faisant remarquer aussi «qu’en plus de ce travail malhonnête, je subis aussi le sens d’irresponsabilité de quelques jeunes chanteurs qui ont l’habitude de reproduire beaucoup de mes chansons mais ils ont déformé le texte et la composition». Avec son riche répertoire, l’Aïta Jabalia ou Taktouka Jabalia a traité plusieurs thèmes et témoigne notamment des conflits entre tribus, des souffrances des régions rurales enclavées et de l’histoire de la région du Nord. A côté de cet art masculin, il y a la chanson Jabalia qui continue à être axée sur les sentiments amoureux.

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