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Amina Bouayach : «Il faut garantir les conditions du procès équitable aux justiciables»

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ALM : En tant qu’association qui milite pour la protection des droits de l’Homme, quelle analyse faites-vous de la problématique de «l’erreur judiciaire»?
Amina Bouayach : Je pense que les efforts déployés par les organisations de défense des droits de l’Homme pour la consécration des voies de recours et d’équité s’inscrivent dans le cadre de la réforme du système judiciaire. Celle-ci demeure primordiale pour éviter que l’erreur judiciaire n’entache les jugements rendus par les différents tribunaux. Il ne faut pas perdre de vue le volet humain d’un quelconque jugement, étant donné que la moindre erreur pourrait avoir un impact négatif sur l’individu. C’est la raison pour laquelle nous soutenons et nous appuyons le renforcement des mécanismes de recours contre les jugements. Nous militons également pour que tous les justiciables puissent bénéficier de toutes les garanties du procès équitable, justement pour éviter qu’il y ait injustice à l’encontre d’une partie dans le cadre d’un procès. Troisième point important, lorsque nous appelons à l’abolition de la peine de mort c’est justement parce que l’erreur judiciaire pose un sérieux problème dans ce cadre.

Pourquoi, selon vous, les organisations de défense des droits de l’Homme n’ont pas jusqu’à présent traité cette problématique ?
Ce constat est réel. Les ONG de défense des droits de l’Homme n’ont pas encore bien traité ce thème, pour une raison très simple. La mise en place des mécanismes de prévention contre l’erreur judiciaire est une étape ultérieure qui viendra après la consécration des garanties du procès équitable. C’est ce dernier objectif qui préparera le terrain au premier. Même dans les pays avancés en matière de protection des droits de l’Homme et de démocratie, l’erreur demeure possible alors que les garanties du procès équitable sont offertes aux différentes parties. 

Que faut-il faire pour remédier à cette situation du moins relativement ?
Je pense que les tribunaux du Royaume trouvent toujours du mal à reconnaître l’erreur judiciaire ce qui est en mesure de donner lieu à l’injustice. Ainsi, la résolution de la problématique de l’erreur judiciaire n’est pas encore pour demain. Aussi, dans le cadre du procès, il faut désormais qu’en matière pénale le procès-verbal établi par la Police judiciaire soit pris en considération par le tribunal comme une référence parmi d’autres et non comme preuve exclusive pour qualifier l’accusation adressée au suspect. 

Quel est le responsable de l’erreur judiciaire ?
Je pense que l’appareil judiciaire dans son ensemble peut être responsable de l’erreur judiciaire, à savoir la Police judiciaire, les juges, les avocats et même les justiciables eux-mêmes. Chacune de ces parties est appelée à assumer sa responsabilité pour éviter au maximum le risque de l’erreur judiciaire. En plus, toutes les affaires doivent être vues par le tribunal d’un angle humain et qu’elles soient traitées minutieusement par le soin des magistrats.
 
Pensez-vous que l’indemnisation est en mesure de réparer le préjudice subi par les victimes?
De par une conviction personnelle, je pense que l’indemnisation a un caractère politique, symbolique, socioculturel. Elle ne peut pas de ce fait réparer d’une manière définitive le préjudice subi par la victime de l’erreur judiciaire. En plus, il y a des dommages moraux qui sont de l’ordre de l’irréparable. Donc, mieux vaut prévenir que guérir.


L’erreur judiciaire sous d’autres cieux

L’erreur est humaine, dit-on. De ce fait, nul système judiciaire n’est parfait. L’erreur judiciaire pourrait toujours avoir lieu. La France, dont la législation pénale a fortement inspiré le Code pénal marocain, a reconnu six cas d’erreurs judiciaires en matière criminelle depuis 1945.
• Jean Dehays a été accusé d’avoir assassiné un fermier et tenté d’avoir assassiné sa femme. Il a été condamné en 1949 à 20 ans de travaux forcés. Il a été acquitté en 1955 et a reçu 12.335 francs au titre de dommages-intérêts.
• Jean-Marie Deveaux, un garçon boucher, a été accusé d’avoir assassiné la fille de ses employeurs. Condamné en 1963 à 20 ans de réclusion criminelle, il a été acquitté en 1969 et a reçu 125.000 francs de dommages-intérêts.
• En 1973, Roland Agret a été condamné à 15 ans de réclusion criminelle pour complicité d’assassinat d’un garagiste. Il a été acquitté en 1985 après un an de grève de la faim et a obtenu 250.000 de dommages-intérêts.
• Guy Meauvillain a été condamné en 1975 à 18 ans de réclusion pour le meurtre d’une vieille femme. La Cour d’assises de Gironde l’a acquitté en 1985. Il a reçu alors 400.000 francs au titre de dommages-intérêts.
• Le 28 septembre 1986, les corps d’Alexandre Beckrich et Cyril Beining, âgés de 8 ans, ont été découverts près d’une voie de chemin de fer à Montigny-les-Metz en Mozelle. Âgé de 16 ans au moment des faits, Patrick Dils a été soupçonné car il se trouvait près de l’endroit du double meurtre au moment des faits. Six mois plus tard, après 48 heures de garde à vue, il a passé, sous pression, aux aveux d’un crime qu’il n’a jamais commis.
Le 25 septembre 1989, s’est ouvert son procès devant la Cour d’assises de Moselle. Patrick Dils est condamné à la réclusion criminelle à perpétuité au terme d’un procès de deux jours. Il devient le plus jeune condamné à perpétuité d’Europe. Le 3 avril 2001, la condamnation de Patrick Dils a été annulée par la Cour de Révision, après la présence, prouvée, dans la région au moment des faits, du tueur en série, Francis Heaulmes, déjà condamné pour des faits similaires. Le 29 juin 2001, Patrick Dils est rejugé par la Cour d’assises des mineurs de la Marne à huis clos : il est à nouveau reconnu coupable et condamné à 25 ans. Mais le condamné fait appel. Il sera rejugé par la Cour d’assises d’appel des mineurs du Rhône. Après 15 jours d’audience, il a été acquitté lors d’un procès public. Patrick Dils, 31 ans, a été libéré le 24 avril 2002 après avoir passé quinze ans de sa vie en prison, pour rien. En acquittant Patrick Dils, le jury a reconnu une des plus graves erreurs judiciaires de l’histoire récente du pays.
• Rida Daalouche, un ressortissant tunisien de 35 ans a été condamné le 12 avril 1994 à 14 ans de réclusion criminelle par la Cour d’assises des Bouches-du-Rhônes, pour le meurtre d’un homme à Marseille. Il a été acquitté le 8 mai 1999 après avoir été rejugé par la Cour d’assises de l’Hérault. «L’homme le plus honnête, le plus respecté, peut être victime de la justice. Vous êtes bon père, bon époux, peu importe. Quelle fatalité pourrait vous faire passer pour un malhonnête homme, voire un criminel ? Cette fatalité existe, elle porte un nom : l’erreur judiciaire» , disait René Floriot, célèbre avocat français.

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