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Reportage, marché de l’art au Maroc: Galeries, ventes aux enchères et dangers du faux

© D.R

S’il n’est pas encore complètement mûr, le marché de l’art au Maroc n’en est pas non plus à ses premiers balbutiements. Les professionnels le jugent à 600 millions de dirhams, mais estiment tous que son potentiel est «énorme» et qu’il reste «beaucoup à faire». Et pour cause, le Maroc a vu se succéder des générations d’artistes de renom, dont les tableaux sont aujourd’hui estimés à des prix exorbitants. Dès lors, le patrimoine artistique national, qui devient de plus en plus convoité et prisé, prend l’allure d’une véritable manne financière.

Les galeries d’art se multiplient

Il faut dire que la multiplication continuelle de galeries d’art dans les grandes villes du Royaume témoigne d’un engouement qui existe. Jusqu’à il y a une quinzaine d’années, il n’y avait à Casablanca que deux ou trois galeries d’art dites « sérieuses » (entre autres Venise Cadre et Dawliz, qui cartonnaient littéralement dans les années 80-90). Ces galeries, en plus de vendre de l’art, proposaient également des antiquités à des collectionneurs, ou à des férus d’objets anciens. Aujourd’hui, galeries et espaces d’exposition et de vernissage commencent à pulluler un peu partout dans le Royaume. On en compte actuellement une centaine au total, voire plus. Pour Aicha Amour, galeriste à l’Atelier 21, «le marché commence à être plus mature et il commence à y avoir des galeries. Les artistes commencent à être de plus en plus soulagés quant à la question de la vente de leurs œuvres, car  auparavant, c’étaient les artistes qui prenaient eux-mêmes en charge la vente de leurs propres toiles, tableaux ou créations». Un avis qui n’est pas partagé par tout le monde. En effet, selon l’artiste-peintre Abdelaziz Berhili, «il ne suffit pas de multiplier les galeries et les musées, encore que ces institutions soient nécessaires pour susciter l’intérêt des gens pour l’art !». Et d’ajouter que «ces institutions ne seront jamais suffisantes, tant qu’une culture artistique n’est pas instaurée. C’est aux écoles spécialisées, aux collèges, aux lycées et aux universités de s’acquitter de cette noble tâche».

Un domaine de moins en moins élitiste

Derrière cette évolution exponentielle qui a transformé un domaine très embryonnaire en véritable marché, un engouement très fort pour l’art et la naissance d’une nouvelle clientèle composée de connaisseurs. Mais pas toujours ! L’art n’est plus réservé qu’à une élite de spécialistes. Preuve en est la crise économique qui a transformé les objets d’art en valeur refuge pour des gens «peu éclairés» dans le domaine artistique. Ces derniers commencent à acquérir massivement des objets d’art, y plaçant leurs économies, pour une conversion future en liquidités une fois que ces objets auront pris encore plus de valeur. Une forme de spéculation sur le long terme en somme, qui est devenue de plus en plus prisée et utilisée au Maroc, mais aussi à travers le monde.

2.500 amateurs d’art au Maroc

Les professionnels estiment aujourd’hui que la clientèle de l’art se chiffre à quelque 2.500 personnes, avec une capacité d’achat se situant entre 100.000 et 140.000 dirhams. Des chiffres qui restent encore en deçà des tarifs utilisés dans des pays comme la France, où l’on estime le nombre d’acheteurs à 90.000, pour des ventes dont les tarifs se situent entre 10.000 et 1million d’euros ! Les ventes accomplies dans l’Hexagone restent même très timides comparées à des pays comme les Etats-Unis, qui s’apparentent à de véritables «géants de l’art». Ainsi, le tableau le plus cher vendu aux enchères américaines, par exemple, a atteint les 100 millions de dollars.
Au Maroc, les Casablancais restent les plus gros acheteurs d’art, suivis de quelques Européens. Ces 10 dernières années, une clientèle plutôt «huppée», en provenance des pays du Golfe, commence à montrer un engouement palpable pour l’art marocain très proche de la culture arabe, notamment les tableaux reproduisant une médina, ou des ambiances marocaines issues de la vie traditionnelle ou historique du Royaume.

Un marché très opaque

Bien entendu, il est difficile de quantifier ce qui se passe réellement sur le marché de l’art au Maroc.
Aucune étude n’a été menée par les milieux universitaires ou par l’Etat. De plus, aucune maison de vente ne publie ses résultats. Parfois même si des données sont rendues publiques, souvent de faux chiffres sont avancés pour brouiller les pistes et donner de l’importance au volume des transactions accomplies par ces maisons de vente, ou le contraire pour des raisons fiscales.
«Le milieu de l’art est un environnement très fermé où toutes les données peuvent être sujettes à caution», explique Houcein Talal, président de la galerie d’art Alif Ba. Une situation de non transparence qui encourage le développement de transactions clandestines.

Un marché parallèle de l’art ?

De fait, c’est un véritable marché parallèle qui s’est développé à côté du marché régulier. Et les cas d’arnaques sont devenus légion. Souvent, c’est un amateur qui se fait avoir sur le prix d’une fausse pièce d’art. Une autre fois c’est une victime qui paie des vendeurs imaginaires. Une fois la transaction accomplie, ces faux vendeurs disparaissent dans la nature.
Autre aberration, l’absence de textes de lois adaptés.
La loi actuelle continue à assimiler toute production artistique nationale à un patrimoine public dont l’exportation est interdite, ce qui est de nature à empêcher le développement du marché.

 

Siham Oukhit
Journaliste stagiaire

Pour vendre de l’art, il faut communiquer dessus !

Entretien avec Hassan Sefrioui, fondateur de la galerie Shart

ALM : Selon vous comment un galeriste opère-t-il sur le marché de l’art ?
Hassan Sefrioui :
Galeriste est un métier qui fait partie des professions des métiers de l’art. Il n’en est qu’un élément. Si nous devons parler d’action sur le marché, ce doit être une action commune avec les marchands d’art, les hôtels de ventes aux enchères, les publications spécialisées, et surtout les musées. Penser que l’on peut agir sur le marché individuellement serait absurde, voire prétentieux.

Comment vendez-vous une exposition ?
Comment vendre une exposition n’est pas une question qui peut trouver une réponse. Il serait plus juste d’essayer de comprendre comment telle ou telle œuvre peut trouver sa place au sein d’une collection.
C’est la nature même de l’œuvre qui nous guide. Par exemple un grand format sera proposé à une institution de la même manière qu’un petit dessin sera proposé à un particulier.

Comment une galerie d’art peut-elle communiquer sur les produits qu’elle veut vendre ?
C’est une communication spécifique car on ne peut pas parler d’un produit.
Un produit c’est un bien de consommation, c’est-à-dire périssable. L’art n’étant pas périssable (à l’exception des installations ou des performances) il faut communiquer dans un premier temps sur l’artiste lui-même, son parcours, ses idées, ses techniques. L’exposition bénéficie également d’un traitement médiatique particulier : il faut trouver les supports qui sont susceptibles de toucher le public concerné…

 

Reportage photos de Chafik Arich
 

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